Un peu d'histoire
Commune du canton de Villeneuve-de-Berg, Lussas est mentionné dans ce que l’on appelle traditionnellement la Charta Vetus ou Charta Vielha (Charte Vieille) à la date de 950, sous le nom de Luciatense. On retrouve, dans des registres de décimes (document fiscal), Lussacio en 1275 et Lusacio en 1516. Plus important, un terrier (autre document fiscal) du XVIIe siècle mentionne Saint-Laurent de Lussas. En effet, avant de devenir commune en 1790, Lussas dépendait de la paroisse de Saint-Laurent-sous-Coiron, dans un schéma classique d’occupation de l’espace dans le monde méditerranéen : un habitat de hauteur pour la sécurité (en l’occurrence Saint-Laurent-sous-Coiron) et un finage (espace cultivé) descendant dans la plaine, bordé à l’ouest par le plateau calcaire des Gras (dominant l’Ardèche et la plaine d’Aubenas) et à l’est par le plateau basaltique de Mirabel et les collines argilo-marneuses du pays de Berg.
La plaine de Lussas est habitée depuis la préhistoire. En témoignent des habitats de surface, des grottes et de nombreux dolmens (36 recensés à ce jour) dont le dolmen de Mias est un vestige remarquable. Ces tombeaux collectifs de l’époque néolithique ont été réutilisés ensuite comme tombes individuelles lors de l’âge du bronze (1800-700 av. J.-C.).
L’âge du fer, qui succède à l’âge du bronze et correspond en gros au développement de la civilisation celte, ou gauloise pour notre région, se termine avec le développement des oppidums, ou places fortes de hauteur. L’oppidum de Jastres nord, qui domine la vallée de l’Ardèche, en est un témoin remarquable : trois états successifs sont distingués. Le plus ancien date du IIe siècle avant notre ère (Jastres nord-1) avant que les Romains ne détachent les Helviens de l’hégémonie arverne vers 121 av. J.-C.). Plus récents, Jastres nord-2 et 3 composent une fortification monumentale construite en deux temps : les années 80 av. J.-C. et la fin de la guerre des Gaules (58-52 av. J.-C.). Lors de la fondation d’Alba au début du premier siècle, cette ville fortifiée (Jastres) est abandonnée et de nombreuses villae (grandes exploitations agricoles) s’installent dans la plaine de Lussas, comme en témoignent les vestiges visibles dans des maisons du quartier de Maisonneuve ou des ruines de mausolée au bas du col du Chade, sur la commune voisine de Mirabel. L’étymologie indique d’ailleurs que Lussas vient de Luciacum, « de Lucius, avec Lucius », nom de domaine romain ou romanisé.
Les textes rapportent que la première église de Lussas, dédiée à Notre Dame, a été fondée par saint Venance vers 537. Une seconde église fut bâtie au XIIe siècle, relevant des bénédictins de l’abbaye de Cruas, et dépendant du diocèse de Viviers. Un prieuré a été construit par ces moines qui ont assaini la plaine alors marécageuse en creusant les fossés de Champagnac et de Bourdaric, devenus affluents d’Auzon, rivière elle-même affluent d’Ardèche. Ce domaine ecclésiastique s’étendait au sud du village et, à la veille de la Révolution, appartenait pour moitié à l’évêché de Viviers et pour moitié à un prieur résidant à Cruas. Installé sur un petit ressaut de terrain, le hameau faisait partie de la paroisse de Saint-Laurent et Lussas. La Révolution sépare cette paroisse en deux communes distinctes, Lussas et Saint-Laurent, et entraîne la vente comme bien national du prieuré en 1793. Cela met fin aux droits seigneuriaux dont quelques chanoines de Cruas bénéficiaient toujours, au grand dam des paysans, contraints à des redevances qu’ils ne comprenaient plus. La prospérité relative du XIXe siècle, dans le bas Vivarais, liée à la sériciculture, explique que l’église romane jugée trop petite a été démolie lorsque le réseau routier s’est développé dans la seconde moitié du XIXe siècle (1860-1880 environ). La construction de la nouvelle église, achevée en 1870, entraîne une transformation du village, qui lui donne sa physionomie actuelle, en relation avec la création de la route départementale reliant Lavilledieu à Freyssenet puis Privas. Il faut se représenter alors la plaine de Lussas couverte de pâtures, de noyers et de mûriers. La construction de cours fermées marque cette prospérité que signent les dates gravées sur les clés de voûte des portails. Les croix de pierre situées à l’est et à l’ouest du village actuel datent de ce réaménagement et celle de l’est (en grès sur un bloc de calcaire romain de réemploi comme le montrent les marques des tenons en façade), qui porte la date 1749 sur le flanc sud, provient peut-être de l’ancien cimetière détruit à l’occasion.
La guerre de 1914-18 frappe durement cette commune rurale dont l’économie se relève des crises provoquées depuis les années 1860 et 1870 par la pébrine (qui ruine les élevages de vers à soie) et le phylloxéra (qui détruit les vignobles). Le recensement de 1911 y dénombre 857 habitants. Ce petit village d’Ardèche présente alors une économie rurale prospère, combinant d’une part une agriculture vivrière, de la céréaliculture, du petit élevage, de la production de vin et de l’élevage du ver à soie (qui subsiste même s’il est sans commune mesure avec l’activité du XIXe siècle), avec d’autre part un artisanat rural animé et une activité industrielle de complément (un moulinage, un moulin, des carrières et une briqueterie...). Comme partout en Europe, la Grande guerre va bouleverser ce monde que le chemin de fer vient de désenclaver : à la fin de la guerre, 46 décès de poilus sont dénombrés (soit 11,31 % des mobilisés) ce qui est un peu inférieur à la moyenne puisque l’on dénombre 14 300 morts ardéchois, soit 13 %.
Au XXe siècle, surtout après 1945, le développement de la culture des arbres fruitiers et de la vigne fait la prospérité de Lussas, rendue possible par le développement en basse Ardèche des coopératives fruitières (Vivacoop, installée à St-Sernin) et viticoles (UCOVA, puis UVICA, à Ruoms).
Cette prospérité agricole se trouve ensuite progressivement menacée par la concurrence des pays méditerranéens, du Portugal à l’Italie, dans le cadre de la construction de la Communauté économique européenne, puis de l’Union européenne. La production viticole résiste assez bien (la cave de Lussas vient de fusionner avec celle de Montfleury et la maison Latour, de Bourgogne, a contracté avec les viticulteurs pour la production de Chardonnay) mais la production arboricole s’est effondrée. Les bâtiments de la cave coopérative fruitière et de la cave coopérative, réaffectés ou fermés, en témoignent dans le paysage villageois. Le nombre des exploitations diminue progressivement avec le décès ou le départ à la retraite du chef d’exploitation.
Sociologiquement menacée, depuis la fin du XXe siècle et au début du XXIe siècle, de devenir « banlieue dortoir » d’Aubenas et des agglomérations de la moyenne vallée du Rhône, la commune a su néanmoins conserver une bonne partie de son identité grâce à une double action de longue haleine de la municipalité. Dès les années 1970-1980, elle a cherché à préserver la plaine agricole de l’urbanisme pavillonnaire qui bouleverse le paysage de bien des communes de basse Ardèche, au détriment des paysages ruraux. De façon très originale, elle a en outre accompagné une autre activité, développée autour du film documentaire de création en soutenant l’action acharnée des membres de l’association Ardèche Images, que symbolisent les Etats généraux du film documentaire, festival annuel (fin août). Cela a abouti à la construction d’un grand bâtiment, « L’imaginaire », situé à l’entrée est du village, qui constitue l’outil de formation d’une trentaine d’étudiants de master de l’université Stendhal, de Grenoble, et réunit les conditions de l’emploi d’une quarantaine de personnes.
Ce dynamisme maintenu se voit dans l’évolution de la population communale. La prospérité du XIXe siècle se lit bien de 1801 jusqu’au développement de l’exode rural (1881), bien moins important cependant à Lussas que dans les communes des Cévennes. Cet exode rural caractéristique de la démographie française rend moins nets les effets démographiques du rétablissement de l’après-guerre et des Trente glorieuses (1945-1974). Les années 1990 caractérisent bien le dynamisme communal, derrière la croissance de la population rurale.
Evolution de la population
Année | Population |
---|---|
1794 | 567 |
1801 | 576 |
1806 | 630 |
1820 | 783 |
1826 | 815 |
1831 | 782 |
1836 | 838 |
1841 | 840 |
1846 | 966 |
1851 | 1021 |
1856 | 989 |
1861 | 962 |
1866 | 895 |
1872 | 945 |
1876 | 982 |
1881 | 914 |
1886 | 909 |
1891 | 922 |
1896 | 864 |
1901 | 840 |
1906 | 870 |
1911 | 857 |
1921 | 728 |
1926 | 732 |
1931 | 641 |
1936 | 659 |
1946 | 630 |
1954 | 573 |
1962 | 582 |
1968 | 561 |
1975 | 529 |
1982 | 585 |
1990 | 624 |
1999 | 777 |
2007 | 910 |
2015 | 1021 |
Sources :
- Pierre Charrié, Dictionnaire topographique de l’Ardèche, Guénégaud, Paris, 1979.
- Louis Favier, Notice sur Lussas, Habauzit, 1952.
- Henri Saumade, Préhistoire de Lussas et du Bas-Vivarais, ASPJ, imp. Liénhart, 1987.
- Pour l’oppidum de Jastres (et l’ensemble de l’Ardèche), la Revue du Vivarais (revueduvivarais.fr).
Par Michel Boyer
(2020)